dimanche 12 mai 2019

Maroc 2017 - Épilogue : Et plus belle sera la chute (partie 2)



Reprise de l'épisode précédent :

Epilogue part. 1

Je n'ai à priori rien de sérieux, et c'est évidemment l'essentiel. Mais Berta gît au fond de ce ravin,  environ huit mètres en contrebas de la piste.








































Pauvre Bertounette....

Une Berta dont je ne doute pas alors qu'elle soit hors d'état de rouler tellement il est déjà miraculeux que je m'en sorte sans blessures graves...


Je commence à penser à l'assurance, au rapatriement.

"Merde, je dois faire quoi exactement ?..." L'administratif, c'est comme le pilotage moto, c'est pas mon truc !

Pendant que je cogite, Philippe est allé auprès de Berta. A son retour, ce sacré Philippe me fait encore une petite blague :

"Franchement, je crois que ta moto, elle a pas grand-chose..."

Vas-y Philippe, fous-toi de ma gueule ! Je t'en prie, c'est vraiment le moment !

Sauf que non, il est sérieux le bougre. Mais dans tous les cas, pour en avoir le cœur net, il faut déjà sortir Berta de là. Et c'est à cet instant qu'Alain va rentrer dans la partie. Alain connait bien le Maroc, Alain a la tchatche, et Alain revient avec une vieille ambulance tout terrain et quatre marocains en tongs dedans.

Normal.

L'opération de sauvetage de Berta va commencer, et c'est un des moments les plus hallucinants de ma vie qui va se dérouler sous mes yeux hagards. Trop faible et endolori pour pouvoir aider, je vais alors prendre des photos. Une façon aussi de mettre une barrière entre la réalité et moi, sans aucun doute.



Une fois les bagages déchargés, tout ce petit monde va joindre ses forces pour descendre Berta dans le lit de la rivière. Le but de la manœuvre étant par la suite de pouvoir remonter la moto plus en amont pour trouver un passage moins raide, et ramener ma grosse mémère sur la piste en la tractant avec l'ambulance.

Tranquille.

Au calme.




Les locaux, qui rappelons-le sont pour la plupart en tongs, se chargeront de créer un passage en dégageant de grosses pierres comme si elles n'étaient pas beaucoup plus lourdes que de vulgaires morceaux de polystyrène.



Et vient alors l'instant fatidique. Philippe met le contact, et je me rappelle très bien d'une chose : le moteur est reparti sans même un toussotement !

Bordel.

Tout le monde applaudit et il me semble même avoir entendu quelques cris de joie. Moi, je me tiens la tête dans les mains, et une idée commence à faire son chemin : et si j'étais en mesure de finir ce voyage ?

Ce serait un vrai miracle étant donnée la chute que j'ai faite !

Mais pour cela il faut encore sortir Berta du lit de la rivière. Et voici l'Agence Tous Risques en tongs qui se démène à pousser les 240 kilos de mon fidèle destrier à contre-courant.






En relativement peu de temps, un passage est trouvé. L'ambulance a tout juste assez de marge sur la piste pour aider en tractant Berta avec une corde rose. 

C'est joli le rose, c'est gai.




Je vous garantis qu'ils ont lutté, et que moi, j'étais un peu penaud de ne pouvoir les aider…




Après quelques derniers efforts, Berta retrouve un lieu qu'elle n'aurait jamais dû quitter : la piste. Et l'inspection qui va suivre confirme ce qui avait été suggéré quelques minutes plus tôt par Philippe... 

Berta n'a presque rien.

Enfin, soyons clairs, tous les carénages sont plus ou moins explosés, je n'ai plus de rétroviseurs ni de plein phare, un des cale-pieds passager a disparu, le guidon est légèrement tordu et le sélecteur de vitesse, bloqué. Mais il ne semble y avoir aucune atteinte mécanique majeure, comme pour moi, si j'ose dire.

C'est un putain de miracle. Il n'y a pas d'autre putain de mot.















Le village n'est qu'à trois ou quatre kilomètres, si je comprends bien. Un de mes anges gardiens va prendre la moto pour tenter de l'y ramener. Il se vautrera lamentablement à basse vitesse à peine 100 mètres plus loin. Il faut dire qu'avec un sélecteur bloqué en seconde - ou en troisième, sur ce type de terrain, les choses ne sont pas aisées ! Et puis bon, franchement, elle n'est plus à cela près.

Quant à moi je monte péniblement dans l'ambulance. J'ai le souffle un peu court, j'ai du mal à tenir debout. J'ai l'impression d'être tombé dans un ravin et de m'être pris deux fois une moto de 250 kilos sur la gueule.

Ah bah non, merde. Ce n'est pas qu'une impression en fait. Merci à la bagagerie souple qui m'a peut-être sauvé la vie ou, à tout le moins, une jambe.

L'ambulance roule en extrême bordure du ravin, mes yeux et mes pensées s'y perdent.

Et je repense à ce que l'on m'a dit un jour : "de toute façon toi t'es un chat, il peut t'arriver n'importe quoi, tu retombes toujours sur tes pattes".

Et effectivement, c'est ce qu'il va se passer.

Déjà, parce que dès le lendemain je vais reprendre la route, malgré une Berta traumatisée et une côte très probablement fêlée - comme en attesteront les douleurs aigüs que je vais devoir supporter les deux mois suivants. Je vais réussir à rejoindre Tanger à temps pour prendre mon Ferry, après 2 jours et demi de route où je n'aurai ni la tête à voyager, ni l'énergie de faire autre chose que d'emprunter les nationales.
Quelques dizaines d'heures plus tard, je béquille la moto devant chez moi, près de Bordeaux. Ceci marquant la fin de mon voyage, mais aussi, quelques minutes plus tard la fin d'une aventure écrite cette fois à quatre mains.

Car cette chute va aussi me permettre de retomber sur mes pattes à un niveau autrement plus personnel. Elle va en fait me permettre d'ouvrir les yeux.

Car au final, ce qui est vite ressorti de cette expérience dans les jours qui ont suivis, c'est que je n'étais pas si mal dans ce ravin. Du ciel bleu, de beaux paysages, de l'adrénaline, de l'aventure, du grand n'importe quoi ! Et malgré tout le reste, la peur, le choc, la casse, la galère, j'y étais donc finalement mieux que dans tout un pan de ma vie personnelle.

Je décris souvent mon implantation, cinq ans avant ce voyage au Maroc. Et elle le fut bel et bien. 

Ce fut d'ailleurs tellement extraordinaire toute cette vie, ces voyages, ces rencontres, ces aventures, que j'ai eu vite fait de rejeter un peu celui que j'étais avant. Comme s'il n'avait pas d'intérêt, tellement loin du "connard bionique" qu'il en ferait presque pitié… En le rejetant ainsi, j'ai non seulement laissé de côté une partie de ses qualités, mais j'ai aussi mis des œillères sur tous ces dommages collatéraux de la surdité qui eux, ne disparaissent pas en se branchant les oreilles le matin.

Des dommages collatéraux qui sont finalement banalement universels, puisque la plupart des traumatismes mènent à cela : manque de confiance en soi, besoin de reconnaissance, peur de ne pas être aimé pour ce que l'on est…

Bla.

Bla.Bla.

Bla. Bla.Bla.

Et ce sont ces dommages collatéraux qui m'ont sûrement aussi poussé dans mes voyages jusque-là. Pourquoi mettre une barre toujours un peu plus haute à chaque voyage qui passe, et toujours à la hauteur limite ? Sinon pour se prouver des choses à soi-même plus que pour simplement voyager ?

Et ce sont ces dommages collatéraux qui m'ont poussé et verrouiller dans une relation qui ne convenait à plus personne, et dans laquelle je me perdais de plus en plus.

J'étais bien au fond de ce ravin parce que tout était simple.

Premier point…

J'ai fait de la merde uniquement, ou presque, parce que je me suis retrouvé là où je n'aurais pas dû être. Pour me prouver que j'en étais capable...J'ai honte et je sais qu'il faut que ça change, car cette fois-ci ce n'est pas passé loin et que je ne dois mon salut qu'à mon énorme cul bordé de nouilles - en gros, j'ai eu de la chance, beaucoup de chance.

Second point…

Je veux partir à Lyon pour retrouver mon indépendance, pour faciliter mon activité professionnelle, pour la moto et la montagne. Pour partir loin des excès de fêtes avec lesquels je ne suis plus à l'aise, une vie et une région avec lesquelles je ne suis plus à l'aise. Pour me rapprocher d'un environnement et d'une nature qui me conviennent mieux, même si je la visite en la polluant et en foutant un bordel pas possible avec mon pot de kéké - on a tous nos contradictions.

Je veux arrêter de me perdre et reprendre mon chemin, le mien.

Troisième point…

Qu'est-ce que je me sens vivant bordel !

J'ai essayé de garder cette clairvoyance le plus longtemps possible, et aujourd'hui j'ai le bonheur d'habiter dans une putain de région de connard que l'on pourrait facilement qualifier de paradis de la moto.

*ahem*

J'ai retrouvé mon chemin et surtout je le fais, mon chemin…

Je commence à comprendre que je n'ai rien à prouver à personne et surtout pas à moi-même. Le sourd en moi à déjà prouvé plus de choses que ce que le "motard bionique" ou le "manager technique à tendance pourriture gauchiste à la solde du grand capitale" ne pourra jamais faire - parce que bon, hein, la vie quand on entend c'est un peu trop facile, limite il n'y a pas de défi.
Je commence à intégrer doucement que ce ne sont pas (que) mes implants qui m'ont permis d'être là où j'en suis, mais (surtout) moi. 

Que je peux être fier non seulement de ce que je suis, mais aussi de ce que je deviens...et de ce j'étais. 

Je pense que c'est un grand pas vers le bonheur et la sérénité.




Seul.

Ou à deux.

:)



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Un grand merci et une éternelle reconnaissance à Philippe, Alain et Fred pour leur soutien, leur compréhension et leur bonne humeur le jour de ma chute…


























































vendredi 10 mai 2019

Maroc 2017 - Épilogue : Et plus belle sera la chute (partie 1)



Voilà bien longtemps que je suis rentré du Maroc. C'était le 26 Octobre 2017.

Bien longtemps aussi, surtout, que je n'ai pas écrit sur ce blog. 

Je crois qu'avec le recul, cette longue absence fut nécessaire pour digérer pleinement une chute dont je n'aurais jamais pu me relever. Car ce voyage, comme mes plus fidèles disciples lecteurs le savent, s'est fini d'une manière quelque peu inattendue, pour rester modérer dans mes propos.
Une absence nécessaire aussi, surtout, pour digérer les profonds bouleversements personnels que cette chute a engendré. Car quand "on passe pas loin", les réelles priorités de la vie vous font face de toutes leur hauteur vertigineuse, et il faut embrasser alors un bouleversement qui mène tôt ou tard à se recentrer et à devenir un peu plus soi-même.

Rien que du positif donc, qui peut cependant prendre un peu de temps.

Mais tout cela, j'y reviendrai plus tard. Reprenons d'abord où je vous ai laissé, fidèles disciples lecteurs. Où en étions-nous ?

Ah oui...Dixième journée au Maroc ! 

Pour moi, c'est toujours vers le dixième jour qu'une certaine routine s'installe dans le voyage. Il devient alors mon quotidien. Je prends mes marques dans mon nouvel environnement, je me crée de nouvelles habitudes. Et ce faisant, l'excitation permanente des premiers jours fait place à une sorte...heu...de...d'un...je ne sais pas comment dire...

On est juste bien, en fait ! On roule, on profite, et on déconnecte petit à petit de la vie normale.  

Et on déconnecte d'autant plus facilement de la normalité du quotidien européen quand on prend le petit déjeuner avec des chameaux, et que l'on passe ses journées dans des décors dignes des meilleurs reportages de National Geographic !










Il paraît même que des épisodes de Game of Thrones ont été tournés dans le coin...Oui je sais, ça n'a rien à voir avec National Geographic. En même temps je m'en fous, j'aime pas Game of Thrones, j'aime pas les séries, j'aime pas les gens, j'aime pas National Geographic.

J'aime mon moi mégalomane, et ma moto. Et les cachets roses et bleus que le Monsieur en blouse blanche me donne le soir et le matin.

Mais je crois que je m'égare...

Ah oui...j'aime rouler, aussi.




























Deux jours vont ainsi s'écouler...entre pistes roulantes, petits marchés locaux, paysages grandioses. Je vais rouler, rouler, rouler et encore rouler...











Les paysages sont grandioses, les rétines explosent encore et encore...
































Les routes aussi sont un peu explosées...


















Un arrêt à la terrasse d'un café me donnera l'occasion de prendre ce que je considère comme une de mes plus belles photos de ce voyage marocain.

Bah oui...il y a des choses comme ça, qui ne s'explique pas. 







Du tabac, un petit souvenir pour l'étagère et de quoi grignoter...
















Ces jours-là, les pistes ne présenteront presque aucune difficulté...




Des pistes sans difficultés, mais des paysages dantesques, qu'on se le dise !

Et bim bam boum dans la rétine.






























Berta Superstar.


Les paysages inconnus de mes yeux jusqu'alors s'enchaînent sans fin, tout juste entrecoupés par la traversée de petits villages perdus au milieu des montagnes...

















J'ai de merveilleux souvenirs de ces moments et, paradoxalement, fort peu de choses marquantes à raconter. Il y a bien quelques anecdotes, notamment des moments sur ce petit marché, mais ce sont des petits moments d'une merveilleuse futilité qui ne valent réellement que quand ils sont vécus.

Tout ça pour dire, joliment, que j'ai un peu la flemme d'écrire des tartines sur mes distributions de bonbons, achat de cacahuètes, négociations de grenades - le fruit, je précise, les nombreux sourires et saluts, les regards méfiants aussi, les grandes discussions sur l'huile d'argan, etc, etc, etc...!




























Au soir du onzième jour, j'entame la grande piste dite de la "Cathédrale". 









Une piste loin d'être réellement difficile mais suffisamment longue et emplie de caillasses par endroit pour me donner envie de faire une petite pause de connard, comme il se doit...

Une pose de connard fatigué...

C'est lorsque que la nuit tombe, et que les jambes se font très lourdes, que le destin va me réserver une surprise ! 
Roulant à bon rythme, j'aperçois des gens au loin sur la piste. Rien de bien anormal étant donné qu'au Maroc, on croise des gens partout. Sauf qu'à mesure que je me rapproche, je crois reconnaître les silhouettes qui se dessinent.




Ces silhouettes au loin, ce sont celles de Philippe, Alain, et Fred, avec qui j'avais partagé une quantité peu raisonnable de bière quelques jours auparavant ! (Article 6 : Lost in Translation)
Ce même Alain qui m'avait enjoint à "faire attention à moi". Quelle ironie quand on sait ce qu'il se passera le lendemain...

Môsieur Alain M. !


Philippe, et Fred dit "l'Artiste"...



Les trois comparses m'invitent à les rejoindre dans le gîte qu'ils ont investi pour la nuit, non loin de là, et à partager le couscous. Je ne me ferai pas prier, la fatigue est bien trop pesante pour continuer.
Alain se chargera d'animer la soirée avec ses pitreries ainsi que son inénarrable bagout, et nous irons tous rejoindre nos lits de bonne heure - je crois - afin de nous reposer pour le lendemain...




Jusqu'au dernier moment je vais hésiter à suivre ce trio d'aventuriers expérimentés, mais je me dis alors qu'une journée de roulage en bonne compagnie ne pourra qu'être positive, pour casser la routine et rouler en sécurité.

Mouah ah ah ah ! J'avais juste oublié que la dernière fois que j'avais vraiment roulé avec quelqu'un en voyage, pour la "sécurité et l'aventure", j'avais fini par immerger totalement ma moto dans une rivière, quelque part au fin fond de l'Islande ! (Tour d'Islande - Article 16...A la recherche du précieux part. 3)

Nous nous engageons tous gaiement sur une piste roulante, et alors que je suis mes acolytes du jour, un certaine sérénité commence à s'emparer de moi. Qu'il est agréable de rouler en groupe sur piste, le stress est bien moins présent, je me sens libéré tout en gardant une conduite modérée. Mais les kilomètres s’enchaînent avec très peu de pauses, et de cela, je n'ai pas l'habitude. Mon corps est déjà épuisé par mes précédentes journées et les insomnies quotidiennes qui, n'ayons pas peur de le dire, me pourrissent un peu mon voyage. Mon esprit est préoccupé par des choses de mon autre vie. Des décisions doivent être prises à mon retour, je sais pertinemment lesquelles mais je n'ai pour l'instant pas le courage de me l'avouer. 

Je lutte avec des peurs profondes que la rupture sentimentale qui se profile à mon retour fait remonter à la surface. Les heures qui vont suivre vont être en ce sens salutaires, et rendre les choses beaucoup plus simples.

Mais pour l'instant, place à quelques photos...












Cette piste si roulante va, au fur et à mesure des kilomètres, devenir de plus en plus technique en raison de la présence bien trop importante de galets affleurants. J'ai chaud, je suis fatigué, trop chargé et trop incompétent pour me retrouver là, soyons objectif. J'arrive, malgré tout, à avancer à un rythme convenable...

Fred, s'il est un aventurier plein d'expérience, est en revanche un motard presque débutant. Et il galère aussi. Je le suis. Philippe est derrière nous. Quant à Alain, il est déjà loin devant malgré sa clavicule fêlée !

Fred est donc devant moi, et je le vois batailler en haut d'une petite montée précédant un virage à angle droit, sur cette piste qui se rétrécit de plus en plus. Je joue la sécurité et coupe mon moteur pour le laisser partir loin devant, et me laisser en conséquence de la marge afin de pouvoir rouler à mon rythme.

Il passe la difficulté et je repars alors. J'ai du mal à prendre de la vitesse et à bien me positionner. Le virage est là, les galets aussi. Instinctivement, dans la courbe, je me remets sur la selle. Ma roue  arrière chasse dans les galets...elle s'enfonce et fait basculer la moto, changeant sa trajectoire. Me voici maintenant presque perpendiculaire à la piste, avec une vitesse proche de zéro.
Et ma roue arrière continue de s'enfoncer alors que je maintiens un (gros?) filet de gaz, jusqu'au moment où elle trouve de la terre ferme. C'est le coup de raquette !

Me voilà propulsé d'un coup hors de la piste !

Et là...

C'est l'arrêt sur image, une image qui restera gravée dans ma mémoire plus que nulle autre.

L'image d'un cauchemar mais duquel on ne se réveille pas.

Ma roue arrière est encore sur la piste, mais la roue avant, elle, est belle et bien dans le vide. Et à ce moment précis, la seule chose qui est passé dans mes trois neurones ce n'est pas de la peur, ce ne sont pas des insultes, mais une simple phrase :

"Ho non, pas ça."

Et c'est parti pour un tour de manège, qui va me sembler durer une petit éternité.

Ça y est la moto tombe, et moi avec. Il fait noir, la crispation me faisant fermer les yeux. La chute s'amorce dans de gros cailloux. Après quelques secondes, peut-être une, peut-être dix, je ne sais pas, je me rends compte que je n'ai pas mal, ce qui me rassure tout de même fortement !

Et puis, un poids. Un énorme poids me compresse l'espace d'un court instant. Je le sais, c'est Berta qui m'est tombée dessus. Et la voilà qui est repartie.

Je continue ma chute. L'espace d'un instant, très bref, j'ouvre les yeux. En une fraction de seconde, j'aperçois le ciel, et dans ce ciel, une tâche noire. La moto revient, j'ai le temps de comprendre tout cela. Et je vais définitivement bien le sentir quand quelque chose va me rentrer dans les côtes, arrachant de ma bouche un hurlement. Je ne le saurai que plus tard, grâce à la forme de l'hématome qui apparaîtra dans les jours qui suivront, mais le guidon de Bertounette -270 kilos tous pleins faits avec les bagages - vient donc de s'enfoncer dans les os qui protègent mes poumons.

Joie, volupté et allégresse !

Soudainement, plus rien. C'est fini.

Me voilà à terre, la jambe bloquée sous la moto, celle-ci gisant dans un amas de cailloux. J'arrive assez facilement à me sortir de là, je me lève, et je contemple le spectacle.

"C'est pas possible...putain, c'est pas possible !"

Et puis le réflexe de vie s'enclenche. Philippe est derrière moi, il faut que je l'intercepte avant qu'il ne passe. Me voici remontant ce petit ravin à quatre pattes, avec l'impression d'avoir un couteau planté dans la cage thoracique. Mon taux d'adrénaline est censé être au maximum, je ne suis donc pas censé avoir déjà mal...et si j'avais quelque chose de grave ? Je dois vite remonter !

Bref...certaine panique me gagne...

Alors que je glisse dans les rochers, je vois Philippe passer. Il est à quelques mètres, je crie de toutes mes forces. Mais son regard ne dévie pas, et le voilà qui s'éloigne...

J'arrive finalement à rejoindre la piste, non sans mal et sans douleurs.

Sous le coup du choc, je vais faire clairement n'importe quoi...J'appelle Jean-Louis, un des amis du trio qui est reparti en France quelques temps avant. Je veux lui demander de les contacter car je n'ai pas les numéros de Fred, Alain et Philippe - connerie n°1. Sauf que mes oreilles sont restées dans la sacoche de réservoir de ma moto - connerie n°2...Alors me voilà à parler en boucle dans mon téléphone, en expliquant la situation, et sans savoir si il y a quelqu'un au bout du fil - connerie n°3. Pauvre Jean-Louis, qui ne pouvait pas faire grand-chose ! J'envoie également un SMS à la femme qui partageait ma vie à ce moment-là - connerie n°4, ce qui n'aura servi qu'à la faire angoisser, elle-même ne pouvant bien entendu absolument rien faire. 

Ce que je vais comprendre un peu plus tard, c'est qu'à ce stade là, je suis en état de choc. Le vrai, celui dont on parle dans les livres, les reportages et les films, mais que j'avais eu la chance jusque là de ne jamais vivre.

Je n'ai donc pas de lucidité sur ce que je fais, ou sur ce que je dois faire.

Mais les minutes passent, et je me rassure un peu. Pas de sang, pas de nausée, pas de difficultés particulière pour respirer. La panique fait place a un sentiment étrange mêlant incompréhension, incrédulité, déception, colère, honte, une honte intense, le tout dans un état quasi-second où j'ai l'impression de flotter au-dessus de ce grand canyon.

Fred arrive.

Fred est navigateur, et Fred, pour passer le temps en attendant Philippe et Alain, occupera mon esprit en me racontant comment, en l'espace d'un week-end, il avait réellement failli mourir trois fois ! J'écoutais son récit alors avec admiration, son flegme face à la situation du jour et son propre récit contribuant à m'apaiser un temps soit peu.

C'est à ce moment-là qu'il prendra cette photo...celle d'un fantôme, de mon fantôme.


Un fantôme de connard...

Puis Philippe arrive également. Philippe est kiné, et lui, il m'occupera l'esprit en m'expliquant que de toute façon si je m'étais explosé la rate, ou un truc dans le genre, je serais déjà aux portes de la mort. Donc tout va bien. Me voilà ainsi pleinement rassuré. Sacré Philippe !

Maintenant que je ne suis plus seul, je peux commencer à analyser la situation.

Je n'ai à priori rien de sérieux, et c'est évidemment l'essentiel. Mais Berta gît au fond de ce ravin,  environ huit mètres en contrebas de la piste.

Dans la réalité réelle, les premiers mètres sont quasiment à pic...



Pauvre Bertounette....

Une Berta dont je ne doute pas alors qu'elle soit hors d'état de rouler tellement il est déjà miraculeux que je m'en sorte sans blessures graves.

A moins que...

A suivre...